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Rêvez qu’il ne doit pas finir !
Un bras plus puissant vous gouverne ;
Passez, ô race subalterne,
Malgré vous l’œuvre se fera,
Et vous y travaillez vous-même ;
Travaillez ! c’est la chair qui sème,
C’est l’esprit qui récoltera.

Préparons sa moisson féconde
De justice et de charité ;
Mais n’espérons pas en ce monde
Bâtir l’éternelle cité.
La vie est un voyage austère :
L’homme embellit en vain la terre,
Il n’en fera jamais le ciel !
Pourtant, quand la vague est moins forte,
Parons cette nef qui nous porte
Vers le monde immatériel.

Sous les plus riantes étoiles,
Le pilote encor soucieux,
Qu’il déploie ou serre ses voiles,
A l’esprit tendu vers les cieux.
Il peut, lorsqu’un bon vent s’y joue,
D’or et de fleurs orner sa proue,
Y dormir comme en un berceau ;
Mais il n’aura de paix certaine
Qu’au bout de cette mer lointaine,
En quittant son frêle vaisseau.