Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Voix du silence, 1880.djvu/178

Cette page n’a pas encore été corrigée

Au milieu d’eux, Marco les dépasse du front.
La plaine exhale au loin des odeurs printanières ;
Son doux pays lui fait ses caresses dernières ;
Avec l’ardent regard du ciel italien,
Son œil plein de rayons semble échanger le sien.

Salut, Marco ! Les chefs ont éloigné la foule ;
Ils étouffent ta voix sous le tambour qui roule
Mais, parlant par tes yeux en cet instant sacré,
Ton cœur sur ton visage en éclairs s’est montré.
Pour rallumer l’honneur aux âmes languissantes,
Un rayon suffirait de tes flammes puissantes.
N’est-ce pas, de ce monde il est doux de partir,
Sûr qu’on est aimé d’elle et fier d’être martyr ;
A tous les dieux du cœur gardant sa foi certaine,
Et doublement vivant par l’amour et la haine !
Heureux qui, plein d’espoir, fort et jeune lutteur,
Apporte une âme intacte au fer libérateur ;
Et meurt, même vaincu, même en butte à l’insulte,
Mais sans avoir douté des objets de son culte !
Son sang, quoique ignoré, ne sera pas perdu ;
Il ne voit pas, avant le triomphe attendu,
Des générations dans la fange accroupies
Renier ou salir ses saintes utopies ;
Et, dans son propre cœur, avant la fin du jour,
Il ne sent pas tarir la pensée et l’amour.
Son temps d’épreuve est court : quand la balle le frappe,
Prompte ainsi qu’elle, au but l’âme en un vol s’échappe.
Là-haut sur son pays, il voit, dès ce moment,
Briller le jour lointain de l’affranchissement,
Et sourire en ses bras, fraîche comme une aurore,
Sa fiancée en deuil, qui, chez nous, pleure encore.