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Engloutis dans le flot qui te parlait d’espoir ;
Vous tomberez tous deux au noir abîme où gronde
Le terrible inconnu que j’entends sous cette onde.


LE PÂTRE.

L’inconnu qui me parle est un Dieu bienfaisant.
Accomplissons d’abord la tâche du présent !
La nature l’enseigne à la sagesse humaine :
À chaque jour suffit le fardeau de sa peine,
Et, pour le cœur sincère et simple en ses désirs,
Chaque jour que Dieu fait offre aussi ses plaisirs.


LE POÈTE.

Adieu ! Reste, ô berger ! dans l’erreur qui t’est douce :
L’ignorance est un lit plus tendre que la mousse ;
Reste, au bord de cette onde, à voir tes prés fleurir
À vivre sans penser, pour vivre sans souffrir.


LE PÂTRE.

Ami, qu’un Dieu propice, à ma voix, te délivre
Du démon qui t’a dit : Reste à rêver sans vivre !


LE POÈTE.

Ah ! puissé-je abdiquer, au sein de quelque fleur,
De ce cœur importun la vie et la chaleur !
Pour la sève paisible en ces chênes dormante
Que j’échangerais bien l’âme qui me tourmente,
Que je voudrais jeter tout mon être à ce vent !
Je souffre, ami, tu vois que je suis bien vivant.