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Oui, j’ai subi l’amour, j’ai vécu de ses flammes ;
Oui, je sais qu’au désert il a mille ornements ;
Qu’il agrandit parfois les ailes de nos âmes ;
J’ai connu son délire et ses ravissements.

Mais quel tumulte, hélas ! la passion déchaîne !
N’es-tu donc rien, Amour, qu’un orage éternel ?
Amour, on te dirait toujours mêlé de haine ;
Tu t’aigris parmi nous comme un levain mortel !

Oui, le fiel est au fond de ta coupe épuisée,
Même quand deux grands cœurs se la versent entre eux ;
Tu n’es que la douleur un instant déguisée,
Qui reprend tôt ou tard ses droits sur les heureux.

Mais toi, culte paisible, amour de la Nature,
Tu n’as pas de soupçons, pas de haine à souffler ;
L’âme en te respirant se console et s’épure ;
Tes pleurs sur notre front tombent sans le brûler.

D’un lien éternel quoique tu nous enchaînes,
Jamais l’injuste ennui n’en alourdit le poids :
Amour doux à porter comme l’ombre des chênes
Dans ces chères prisons que je demande aux bois !


ADMÈTE.

La forêt n’a d’ombrage et de grottes profondes
Que pour donner asile aux amours vagabondes.
Pour qui tous ces parfums et tous ces nids charmants
Nature, s’ils ne sont pour les heureux amants ?