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Et les rosiers du soir sur notre sein de neige
Répandent seuls l’ardeur de l’ambre et du vermeil.

Nos flancs ont retenu leur première ceinture ;
Nul œil n’en profana les mystiques attraits ;
Là, sous l’épais rideau des grands bois sans culture,
Le cœur seul est admis à goûter nos secrets.

Nous laissons sur nos pieds verdoyants de prairies
Se jouer les pasteurs et croître les troupeaux ;
Viens, nous t’y verserons le lait des vacheries
Sur nos tapis de fleurs argentés de ruisseaux.

Notre souffle y répand toute vie, et nous sommes
Le réservoir sacré de toutes les vigueurs ;
Nous gardons purs le sang des taureaux et des hommes ;
Chez nous est le remède à tes vaines langueurs.

Pour qu’il reste ici-bas une place au mystère,
Nous cachons nos déserts avec un soin jaloux.
Nos bases de granit sont les reins de la terre,
Et ce vieux continent s’étaye encor sur nous.

L’Europe, où grandit l’âme, à nos urnes s’abreuve ;
Nous portons notre sève aux Celtes, aux Germains.
Chaque peuple, à nos pieds, reçoit de nous son fleuve
Et le bois des vaisseaux façonné de nos mains.

En vain l’Himalaya mit le vieux Gange au monde,
Et vit les fils du ciel descendre et s’y baigner :
Les hommes et les dieux qui sont nés de notre onde
Sont forts entre les forts et seuls doivent régner.