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Les fanges, à mes pieds, ne me sont plus visibles ;
Je n’entends plus ce monde ou plaintif ou moqueur.

Un invincible essor me soulève et m’emporte
Au-dessus de moi-même, et jusqu’à ces hauts lieux
Où l’âme est à la fois si tranquille et si forte,
Qu’elle y peut aimer l’homme et se soumettre aux dieux.

Ces blanches régions dont la neige flamboie,
Ce prisme étincelant du glacier virginal,
Ce sommet d’où me vient ma lumière et ma joie,
C’est toi que je contemple, éternel idéal !

À tes pieds, le réel s’assombrit ou s’écroule ;
Toi, ferme en ta hauteur, tu brilles dans les airs ;
Jamais le souffle impur et les pieds de la foule
N’auront sali ta neige et tes chastes déserts.

Parfois ton front se voile, ou mon regard s’abaisse ;
Tu disparais, pour moi, dans la nuit de mes sens ;
Toujours quelque rayon perçant la brume épaisse
Revient chercher mon cœur dans l’ombre où je descends.

Un vent souffle du ciel ; il écarte la nue,
je revois ta blancheur et ta solidité ;
Et voilà qu’une extase, à la chair inconnue,
Fait tressaillir en moi l’esprit ressuscité.

Ô poésie, ainsi bravant l’homme et les choses,
Tu sièges dans mon cœur, sur les plus hauts sommets ;