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Parfois, sans plus d’espoir, je vais le long du fleuve,
Pour tâcher d’y revivre une heure en respirant
Les parcelles d’air pur qu’entraîne le courant,
Pour saisir, à travers la cité qui murmure,
Un son mélodieux parti de la nature.
Mille infectes odeurs, mille affreux grincements
M’ont suivi jusqu’au bord de tes flots écumants,
Rhône indompté ! voilà pourtant que sur ta grève,
Mon front chargé d’ennui tout à coup se relève,
Et j’ai vu, par delà notre indigne prison,
Le Mont-Blanc radieux qui trône à l’horizon.
Il monte en plein soleil ; de sa cime à sa croupe
Son profil dentelé dans l’azur se découpe,
Et, libre des vapeurs qui couvrent les cités,
Il rayonne au-dessus de nos obscurités.


II

L’ombre alors se déchire en dedans de moi-même,
L’éclair du mont sacré m’arrache à mon sommeil ;
Et je vois, aux rayons de sa blancheur suprême,
Se dresser dans mon âme un sommet tout pareil.

Pur, splendide, éclatant de lumière et de neige,
Ô Mont-Blanc, sur sa base aussi ferme que toi,
Il sort immaculé du brouillard qui l’assiège,
Couronné de soleil dans son manteau de roi.

Des torrents de clartés et de forces paisibles
Descendent de son front et remplissent mon cœur ;