C’est vers vous que me guide, entre tous les vivants,
L’esprit qui me choisit mes amitiés secrètes.
Vos pieds noirs et cambrés sont durs comme l’airain ;
J’aime en un droit sillon leur pesanteur sacrée.
La force m’apparaît, une force qui crée,
Devant vos larges fronts à l’air morne et serein.
Qu’un autre soit jaloux du coursier ou de l’aigle !
Je vois d’aussi près qu’eux l’inaccessible azur,
Quand près de mes taureaux, je marche d’un pied sûr,
Entre le bois de hêtre et la moisson de seigle.
Du pas lourd des grands bœufs, du bruit sourd des forêts,
J’écoute avec amour la lenteur cadencée ;
C’est ainsi que je sens, dans mes instincts secrets,
Cheminer vers le but mes vers et ma pensée.
j’aime la majesté de votre doux sommeil,
Quand la splendeur du soir, dorant votre poil sombre,
Sur les prés rougissants où s’allonge votre ombre,
Semble aux cornes d’ébène attacher un soleil.
Vers l’astre qui descend, tournant un front superbe,
Couchés en demi-cercle et fermant vos grands yeux,
Tandis que l’enfant joue entre vos pieds dans l’herbe,
Vous ruminez en paix, semblables à des dieux !
Vous êtes, comme ils sont, patients et terribles,
Bienfaisants, comme ils sont pour nous, ingrats mortels !
Et le sage Orient vous dressa des autels,
L’Orient, qui voyait vos vertus invisibles !
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