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Mais du fier donjon il subsiste encore
Lâchement, hélas, du temps épargné
Un étage, au moins, que ton nom décore,
Un cintre où frémit ton chiffre indigné.

Là, peut-être, au coin de la cheminée
Où l’aïeul sacré dictait ses leçons,
Quelque fils d’esclave à bouche avinée
Souille tes vieux murs avec ses chansons.

Un juif, étalé sous ton blason morne,
A dressé l’échoppe en ta vieille tour ;
Et sur le créneau, qui devient la borne,
S’assied le tribun du vil carrefour.

Fuis donc, et bien loin ! toi qui tiens au culte
Des grands souvenirs et du toit natal ;
Va cacher ton nom sensible à l’insulte,
Et soustrais ton cœur au siècle brutal.

Fuis les temps nouveaux ; ce sol te repousse !
Il faudra mourir loin, sous d’autres cieux ;
Toi qui trouverais la tombe si douce
Auprès de ta mère et de tes aïeux.

Tu connus, au moins, les pleurs et la joie
Devant ce manoir, même abandonné ;
Tes enfants, jetés dans une autre voie,
Iront sans savoir où leur père est né.

Malheur à ton fils s’il a l’âme fière.
S’il a gardé pur le sang dont il sort !