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Dans votre âme, ô penseur avant l’heure endormi !
Pour l’âge des moissons germaient de grandes choses ;
Vous abondiez de fleurs qui ne sont point écloses…
Nul ne l’a su, peut-être, excepté votre ami.

Vous aviez la sagesse et l’esprit d’harmonie ;
Vous deviez les répandre, et vous l’avez tenté,
Poëte mort dans l’ombre et sans avoir chanté !
Mais Dieu fit pour lui seul votre amoureux génie.

Et la mort vous a pris ! je vous ai plaint longtemps ;
Le combat de la vie a ses heures de trêve ;
Vous aimiez nos soleils, nos grands bois où je rêve,
Où nous allions tous deux respirer le printemps.

Désormais un printemps plus sûr et plus paisible
Exhale autour de vous ses parfums sans tarir,
Vous couronne de fleurs que rien ne peut flétrir,
Et dévoile à vos yeux le soleil invisible.

Entre nous tous, c’est vous que Dieu prit en pitié !
Du jour de votre mort ma jeunesse est finie ;
Vous eussiez d’un autre âge écarté l’ironie
Et préservé d’aigreur le miel de l’amitié.

Dieu cueille ses élus dans leurs fraîches années.
Vous avez emporté vos fleurs de l’âge d’or ;
Vous aimiez, vous croyiez, vous espériez encor ;
Vous n’aviez pas subi nos sinistres journées.

Vous étiez, en partant, plein de votre idéal,
N’ayant vu que le bien au fond de toutes choses,