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de caractères du seizième siècle, de fleurons et de vignettes de toutes les écoles et de tous les siècles, de papier, de format, de couverture, de marges, de filets… L’auteur est peu, ou presque rien, l’imprimeur est tout. Que de Sedaines littéraires n’ont aujourd’hui d’autre valeur que leur habit typographique et avec quelle reconnaissance ils devraient dire à leurs livres : Ah ! mon habit que je vous remercie ! Certes, en littérature j’aime l’habit, le bel habit, le vêtement luxueux, mais je ne veux pas qu’il me cache l’homme, ou au moins je tiens qu’il soit fait à sa taille. Il est possible que Th. de Banville soit un poète, Leconte de Lisle un passable traducteur de grec, Paul Lacroix, un Jacob bibliophile quelconque, X. Marinier, un académicien, on le dit, je n’ai aucun motif d’en douter, mais je ne puis les voir sans sourire, vêtus d’un costume qui a été fait ou qui devrait l’être pour Rabelais, Marot, Racine, Molière, Rêgnard ou Piron.

Les mauvaises langues, et il y en a dans le monde des lettres, prétendent que demain nos neveux feront des vestes, de ces riches habits. Tant pis ; puisque ces livres sont de mode et se vendent autant et parfois un peu mieux que les bons, le bibliographe doit les signaler, il n’y manquera pas ; si plus tard ils tombent dans les dédaignés, les oubliés, les méprisés, c’est l’affaire de l’amateur et non celle du catalographe qui est forcé de suivre et d’indiquer le cours de la curiosité bibliomanesque.

La Bibliographie, je l’ai dit tout récemment dans une étude spéciale : la Bibliographie clérico-galante, est l’art de décrire correctement un livre. Cela paraît dès l’abord facile et pas du tout compliqué que de pourtraiturer un ouvrage et d’en donner le signalement, et pourtant assure Boulard dans son Traité élémentaire de la Bibliographie Paris, 1804, in-8, aucune science n’est plus difficile parce qu’elle exige des connaissances immenses, une longue pratique et beaucoup de méthode. Si se renseigner sur la valeur littéraire et commerciale d’ouvrages anciens depuis longtemps jugés et appréciés par une critique impartiale est chose si difficile, se lancer dans une étude bibliographique sur des auteurs contemporains, ne l’est-ce pas davantage ? L’écrivain le mieux connu et le plus sainement jugé n’est pas celui qui vit à côté de nous, parmi nous : il est trop près de nos passions pour n’en pas subir l’influence. On ne peut asseoir un jugement sûr et définitif sur les appréciations hyperboliques d’une camaraderie littéraire et