Page:Laplace - Essai philosophique sur les probabilités.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
sur les probabilités.

des hommes éclairés, accroît souvent celle du vulgaire, toujours avide du merveilleux.

Il y a des choses tellement extraordinaires, que rien ne peut en balancer l’invraisemblance. Mais celle-ci, par l’effet d’une opinion dominante, peut être affaiblie au point de paraître inférieure à la probabilité des témoignages ; et quand cette opinion vient à changer, un récit absurde admis unanimement dans le siècle qui lui a donné naissance, n’offre aux siècles suivans qu’une nouvelle preuve de l’extrême influence de l’opinion générale sur les meilleurs esprits. Deux grands hommes du siècle de Louis XIV, Racine et Pascal, en sont des exemples frappans. Il est affligeant de voir avec quelle complaisance Racine, ce peintre admirable du cœur humain et le poète le plus parfait qui fut jamais, rapporte comme miraculeuse la guérison de la jeune Perrier, nièce de Pascal et pensionnaire à l’abbaye de Port-Royal : il est pénible de lire les raisonnemens par lesquels Pascal cherche à prouver que ce miracle devenait nécessaire à la religion, pour justifier la doctrine des religieuses de cette abbaye, alors persécutées par les Jésuites. La jeune Perrier était, depuis trois ans et demi, affligée d’une fistule lacrymale : elle toucha de son œil malade une relique que l’on prétendait être une