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Sur une disposition du Code d’instniction criminelle.

L’article 351 du Gode d’instruction criminelle est ainsi conçu :

« Si néanmoins l’accusé n’est déclaré coupable qu’à une simple majorité, les juges délibéreront entre eux sur le même point ; et si l’avis de la minorité des jurés est adopté par la majorité des juges, de telle sorte qu’en réunissant le nombre des voix, ce nombre excède celui de la majorité des jurés et de la minorité des juges, l’avis favorable à l’accusé prévaudra. »

D’après cet article, sept jurés déclarant l’accusé coupable et cinq le déclarant non coupable, l’accusé est condamné lorsque trois seulement des cinq juges de la Cour d’assises se réunissent à la minorité des jurés. Cela paraît choquer à la fois les règles du sens commun et les principes d’humanité, protecteurs de l’innocence. La Cour d’assises intervient alors avec justice, parce que le délit de l’accusé n’est pas suffisamment établi par une simple majorité du jury, ce que le Calcul des Probabilités rend indubitable. Mais, quand l’avis de la Cour d’assises infirme celui de la majorité des jurés, loin de le confirmer, quand la différence de deux voix, qui ne donnait à cette majorité qu’une prépondérance insuffisante, est réduite à une seule voix, par l’adjonction des juges dont l’état et les lumières doivent inspirer la confiance [1], n’est-il pas injuste de condamner l’accusé ?

  1. La différence d’une voix donne à la majorité une prépondérance d’autant moindre que le nombre des juges est plus considérable : le simple bon sens le fait voir sans le secours du calcul. Dans la question présente, la prépondérance de la majorité des jurés diminue donc non seulement par la réduction de deux voix à une, mais encore par l’accroissement du nombre des votants, qui s’élève de douze à dix-sept. Généralement, une différence constante entre la majorité et la minorité au-dessous de laquelle l’accusé ne puisse être condamné lui est d’autant moins favorable que le nombre des juges est plus grand : au contraire, le rapport constant des voix de la majorité à celles de la minorité lui devient plus favorable, à mesure que le nombre des juges augmente. Le rapport adopté par la Chambre des Pairs de France, est très favorable aux accusés devant un tribunal aussi nombreux. (On peut voir, sur cet objet, le Supplément à ma Théorie analytique des Probabilités, et la troisième édition de mon Essai philosophique sur les Probabilités.)