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lité du délit par sa gravité étant la mesure du danger que l’absolution de l’accusé peut faire éprouver à la société, on pourrait penser que la peine doit dépendre de cette probabilité. C’est ce que l’on fait indirectement dans les tribunaux où l’on retient pendant quelque temps l’accusé contre lequel s’élèvent des preuves très fortes, mais insuffisantes pour le condamner. Dans la vue d’acquérir de nouvelles lumières, on ne le remet point sur-le-champ au milieu de ses concitoyens, qui ne le reverraient pas sans de vives alarmes. Mais l’arbitraire de cette mesure et l’abus qu’on en peut faire l’ont fait rejeter dans les pays où l’on attache un très grand prix à la liberté individuelle.

Maintenant, quelle est la probabilité que la décision d’un tribunal qui ne peut condamner qu’à une majorité donnée sera juste, c’est à-dire, conforme à la vraie solution de la question posée ci-dessus ? Ce problème important bien résolu donnera le moyen de comparer entre eux les tribunaux divers. La majorité d’une seule voix dans un nombreux tribunal indique que l’affaire dont il s’agit est à peu près douteuse ; la condamnation de l’accusé serait donc alors contraire aux principes d’humanité, protecteurs de l’innocence. L’unanimité des juges donnerait une très grande probabilité d’une décision juste ; mais, en s’y astreignant, trop de coupables seraient absous. Il faut donc ou limiter le nombre des juges, si l’on veut qu’ils soient unanimes, ou accroître la majorité nécessaire pour condamner, lorsque le tribunal devient plus nombreux. Je vais essayer d’appliquer le calcul à cet objet, persuadé que les applications de ce genre, lorsqu’elles sont bien conduites et fondées sur des données que le bon sens nous suggère, sont toujours préférables aux raisonnements les plus spécieux.

La probabilité que l’opinion de chaque juge est juste entre comme élément principal dans ce calcul. Cette probabilité est évidemment relative à chaque affaire. Si, dans un tribunal de mille et un juges, cinq cent un sont d’une opinion, et cinq cents sont d’une opinion contraire, il est visible que la probabilité de l’opinion de chaque juge surpasse bien peu car, en la supposant sensiblement plus grande, une seule voix de différence serait un événement invraisemblable. Mais, si les juges sont