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les jugements criminels, ceux même qui paraissent être les plus justes, sont encore susceptibles. La possibilité de réparer ces erreurs est le plus solide argument des philosophes qui ont voulu proscrire la peine de mort. Nous devrions donc nous abstenir de juger, s’il nous fallait attendre l’évidence mathématique. Mais, lorsque les preuves ont une force telle que le produit de l’erreur à craindre par sa faible probabilité soit inférieure au danger qui résulterait de l’impunité du crime, le jugement est commandé par l’intérêt de la société. Ce jugement se réduit, si je ne me trompe, à la solution de la question suivante : La preuve du délit de l’accusé a+elle le haut degré de probabilité nécessaire pour que les citoyens aient moins à redouter les erreurs des tribunaux, s’il est innocent et condamné, que ses nouveaux attentats et ceux des malheureux qu’enhardirait l’exemple de son impunité, s’il était coupable et absous ? La solution de cette question dépend de plusieurs éléments très difficiles à connaître. Telle est l’imminence du danger qui menacerait la société si l’accusé criminel restait impuni. Quelquefois, ce danger est si grand que le magistrat se voit obligé de renoncer aux formes sagement établies pour la sûreté de l’innocence. Mais ce qui rend presque toujours la question dont il s’agit insoluble est l’impossibilité d’apprécier exactement la probabilité du délit, et de fixer celle qui est nécessaire pour la condamnation de l’accusé. Chaque juge, à cet égard, est forcé de s’en rapporter à son propre tact. Il forme son opinion en comparant les divers témoignages et les circonstances dont le délit est accompagné aux résultats de ses réflexions et de son expérience ; et, sous ce rapport, une longue habitude d’interroger et de juger les accusés donne beaucoup d’avantages pour saisir la vérité au milieu d’indices souvent contradictoires.

La question précédente dépend encore de la grandeur de la peine appliquée au délit ; car on exige naturellement, pour prononcer la mort, des preuves beaucoup plus fortes que pour infliger une détention de quelques mois. C’est une raison de proportionner la peine au délit, une peine grave appliquée à un léger délit devant inévitablement faire absoudre beaucoup de coupables. Le produit de la probabi-