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phénomènes connus ; et si, par une rigoureuse analyse, on les voit tous découler de ce principe jusque dans leurs moindres détails, si d’ailleurs ils sont très variés et très nombreux, la Science alors acquiert le plus haut degré de certitude et de perfection qu’elle puisse atteindre. Telle est devenue l’Astronomie par la découverte de la pesanteur universelle. L’histoire des sciences fait voir que cette marche lente et pénible de l’induction n’a pas toujours été celle des inventeurs. L’imagination, impatiente de remonter aux causes, se plaît à créer des hypothèses, et souvent elle dénature les faits pour les plier à son ouvrage ; alors les hypothèses sont dangereuses. Mais, quand on ne les envisage que comme des moyens de lier entre eux les phénomènes pour en découvrir les lois, lorsqu’en évitant de leur attribuer de la réalité on les rectifie sans cesse par de nouvelles observations, elles peuvent conduire aux véritables causes, ou du moins nous mettre à portée de conclure des phénomènes observés ceux que des circonstances données doivent faire éclore.

Si l’on essayait toutes les hypothèses que l’on peut former sur la cause des phénomènes, on parviendrait, par voie d’exclusion, à la véritable. Ce moyen a été employé avec succès : quelquefois on est arrivé à plusieurs hypothèses qui expliquaient également bien tous les faits connus, et entre lesquelles les savants se sont partagés, jusqu’à ce que des observations décisives aient fait connaître la véritable. Alors il est intéressant pour l’histoire de l’esprit humain de revenir sur ces hypothèses, de voir comment elles parvenaient à expliquer un grand nombre de faits et de rechercher les changements qu’elles doivent subir pour rentrer dans celle de la nature. C’est ainsi que le système de Ptolémée, qui n’est que la réalisation des apparences célestes, se transforme dans l’hypothèse du mouvement des planètes autour du Soleil, en y rendant égaux et parallèles à l’orbe solaire les cercles et les épicycles que Ptolémée fait décrire annuellement et dont il laisse la grandeur indéterminée. Il suffit ensuite, pour changer cette hypothèse dans le vrai système du monde, de transporter en sens contraire à la Terre le mouvement apparent du Soleil.