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vous n’en savez pas le chemin ; vous voulez guérir de l’infidélité, el vous en demandez le remède. Apprenez-le de ceux qui ontété tels que vous et qui n’ont présentement aucun doute. Ils savent ce chemin que vous voudriez suivre, et ils sont guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé. Imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures ; quittez ces vains amusements qui vous occupent tout entier. J’aurais bientôt quitté ces plaisirs, dites-vous, si j’avais la foi. Et moi je vous dis que vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté ces plaisirs. Or c’est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi : je ne le puis, ni par conséquent éprouver la vérité de ce que vous dites ; mais vous pouvez bien quitter ces plaisirs et éprouver si ce que je vous dis est vrai.

» Il ne faut pas se méconnaître : nous sommes corps autant qu’es prit, et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit ; la coutume fait nos preuves les plus fortes. Elle incline les sens qui entraînent l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il fera demain jour, et que nous mourrons ? et qu’y a-t-il de plus universellement cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade ; c’est elle qui fait tant de turcs et de payens ; c’est elle qui fait les métiers, les soldats, etc. Il est vrai qu’il ne faut pas commencer par elle, pour trouver la vérité[1] ; mais il faut avoir recours à elle, quand une fois l’esprit a vu où est la vérité, afin de nous abreuver et de nous teindre de cette croyance qui nous échappe à toute heure ; car d’en avoir toujours les preuves présentes, c’est trop d’affaires. Il faut acquérir une croyance plus facile, qui est celle de l’habitude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Ce n’est pas assez de ne croire que par la force de la conviction, si les sens nous portent à croire le con-

  1. Pascal perd ici de vue ce qu’il vient de recommander pour acquérir la foi : savoir, de commencer par les actes extérieurs.