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phénomènes qui ont un rapport direct avec l’objet de cet Ouvrage : Si l’on exécute fréquemment les actes qui découlent d’une modification particulière du sensorium, leur réaction sur cet organe peut, non seulement accroître cette modifiation, mais quelquefois lui donner naissance. Ainsi le mouvement de la main qui tient une longue chaîne suspendue se propage le long de la chaîne jusqu’à son extrémité inférieure, et si, la chaîne étant parvenue au repos, on met en mouvement cette extrémité, la vibration remonte jusqu’à la main qu’elle fait mouvoir à son tour. Ces mouvements réciproques deviennent faciles par la fréquence de leurs répétitions.

Les effets de ce principe sur la croyance sont remarquables. La croyance ou l’adhésion que nous donnons à une proposition est ordinairement fondée sur l’évidence, sur le témoignage des sens ou sur des probabilités : dans ce dernier cas, son degré de force dépend de celui de la probabilité, qui dépend elle-même des données que chaque individu peut avoir sur l’objet de son jugement.

Nous agissons souvent en vertu de notre croyance, sans avoir besoin d’en appeler les preuves. La croyance est donc une modification du sensorium, qui subsiste indépendamment de ces preuves quelquefois entièrement oubliées, et qui nous détermine à produire les actes qui en sont les conséquences. Suivant le principe que nous venons d’exposer, une répétition fréquente de ces actes peut faire naître cette modification, surtout s’ils sont répétés à la fois par un grand nombre de personnes ; car alors à la force de leur réaction se joint le pouvoir de l’imitation, suite nécessaire de la sympathie. Quand ces actes sont un devoir que les circonstances nous imposent, la tendance de l’économie animale à prendre l’état le plus favorable à notre bien-être nous dispose encore à la croyance qui les fait exécuter avec plaisir. Peu d’hommes résistent à l’action de toutes ces causes.

Pascal a bien développé ces effets, dans un article de ses Pensées, qui à ce singulier titre, qu’il est difficile de démontrer l’existence de Dieu par les lumières naturelles, mais que le plus sûr est de la croire. Il s’exprime ainsi en s’adressant à un incrédule : « Vous voulez aller à la foi, et