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que nous pouvons ainsi comparer aux impressions semblables d’objets présents. Nous jugeons de cette manière qu’une couleur, que nous avons vue la veille, était plus vive que celle qui frappe maintenant notre vue.

Les impressions qui accompagnent les traces de la mémoire servent à nous en rappeler les causes. Ainsi, lorsqu’au souvenir d’une chose qui nous a été dite se joint le souvenir de la confiance que nous avons donnée au narrateur, si son nom nous échappe, nous le retrouvons en rappelant successivement les noms de ceux qui nous ont entretenus, jusqu’à ce que nous parvenions au nom qui nous a inspiré cette confiance.

Les objets présents que nous avons déjà vus réveillent les traces des choses qui dans la première vue leur étaient associées. Ces traces réveillent semblablement celles d’autres objets, et ainsi de suite, en sorte qu’à l’occasion d’une chose présente nous pouvons en rappeler une infinité d’autres et arrêter notre attention sur celles que nous voulons considérer.

Les impressions reçues dans l’enfance se conservent jusque dans l’extrême vieillesse, et se renouvellent, alors même que des impressions profondes de l’âge mûr sont entièrement effacées. Il semble que les premières impressions gravées profondément dans le sensorium n’attendent pour reparaître que l’affaiblissement des impressions subséquentes par l’âge ou par la maladie, à peu près comme les astres qu’effaçait la clarté du jour se montrent dans la nuit ou dans les éclipses de soleil.

Les traces de la mémoire acquièrent de l’intensité par l’effet du temps et à notre insu. Les choses que l’on apprend le soir se gravent dans le sensorium pendant le sommeil et se retiennent facilement par ce moyen. J’ai observé plusieurs fois qu’en cessant de penser pendant quelques jours à des matières très compliquées, elles me devenaient faciles lorsque je les considérais de nouveau.

Si nous revoyons un objet qui nous avait frappés par sa grandeur, longtemps après que la vue fréquente d’objets du même genre, beau-