Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 7.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les naissances des filles, par le désir général des pères, d’avoir un fils qui perpétue leur nom. Ainsi, en imaginant une urne remplie d’une infinité de boules blanches et noires en nombre égal, et supposant un grand nombre de personnes dont chacune tire une boule de cette urne et continue ce tirage avec l’intention de s’arrêter quand elle aura extrait une boule blanche, on a cru que cette intention devait rendre le nombre des boules blanches extraites supérieur à celui des noires. En effet, elle donne nécessairement, après tous les tirages, un nombre de boules blanches au moins égal à celui des personnes, et il est possible que ces tirages n’amènent aucune boule noire. Mais il est facile de reconnaître que cet aperçu n’est qu’une illusion ; car, si l’on conçoit que dans un premier tirage toutes les personnes firent à la fois une boule de l’urne, il est évident que leur intention ne peut avoir aucune influence sur la couleur des boules qui doivent sortir à ce tirage. Son unique effet sera d’exclure du second tirage les personnes qui auront amené une boule blanche au premier. Il est pareillement visible que l’intention des personnes qui prendront part au nouveau tirage n’influera point sur la couleur des boules qui sortiront, et qu’il en sera de même des tirages suivants. Cette intention n’influera donc point sur la couleur des boules extraites dans l’ensemble des tirages : seulement elle fera participer plus ou moins de personnes à chacun d’eux. Le rapport des boules blanches extraites, aux noires, sera ainsi très peu différent de l’unité. Il suit de là que, le nombre des personnes étant supposé fort grand, si l’observation donne entre les couleurs extraites un rapport qui diffère sensiblement de l’unité, il est très probable que la même différence a lieu à fort peu près entre l’unité et le rapport des boules blanches aux boules noires contenues dans l’urne.

Je mets encore au rang des illusions l’application que Leibnitz et Daniel Bernoulli ont faite du Calcul des Probabilités à la sommation des séries. Si l’on réduit la fraction dont le numérateur est l’unité et dont le dénominateur est l’unité plus une variable, dans une suite ordonnée par rapport aux puissances de cette variable, il est facile de voir qu’en supposant la variable égale à l’unité, la fraction devient , et la suite