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être convenable et conforme au Calcul des probabilités d’exiger une majorité de deux voix au moins, dans un tribunal d’appel, pour infirmer la sentence du tribunal inférieur. On obtiendrait ce résultat, si, le tribunal d’appel étant composé d’un nombre pair de juges, la sentence subsistait dans le cas de l’égalité des voix.

Je vais considérer particulièrement les jugements en matière criminelle.

Il faut sans doute aux juges, pour condamner un accusé, les plus fortes preuves de son délit. Mais une preuve morale n’est jamais qu’une probabilité, et l’expérience n’a que trop fait connaître les erreurs dont les jugements criminels, ceux mêmes qui paraissent être les plus justes, sont encore susceptibles. La possibilité de réparer ces erreurs est le plus solide argument des philosophes qui ont voulu proscrire la peine de mort. Nous devrions donc nous abstenir de juger, s’il nous fallait attendre l’évidence mathématique. Mais le jugement est commandé par le danger qui résulterait de l’impunité du crime. Ce jugement se réduit, si je ne me trompe, à la solution de la question suivante. La preuve du délit de l’accusé a-t-elle le haut degré de probabilité nécessaire, pour que les citoyens aient moins à redouter les erreurs des tribunaux, s’il est innocent et condamné, que ses nouveaux attentats et ceux des malheureux qu’enhardirait l’exemple de son impunité, s’il était coupable et absous ? La solution de cette question dépend de plusieurs éléments très difficiles à connaître. Telle est l’imminence du danger qui menacerait la société, si l’accusé criminel restait impuni. Quelquefois ce danger est si grand que le magistrat se voit contraint de renoncer aux formes sagement établies pour la sûreté de l’innocence. Mais ce qui rend presque toujours la question dont il s’agit insoluble est l’impossibilité d’apprécier exactement la probabilité du délit et de fixer celle qui est nécessaire pour la condamnation de l’accusé. Chaque juge, à cet égard, est forcé de s’en rapporter à son propre tact. Il forme son opinion, en comparant les divers témoignages et les circonstances dont le délit est accompagné, aux résultats de ses réflexions et de son expérience, et, sous ce rapport, une longue habitude d’interroger et