Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il est difficile de comprendre, au point de vue anthropologique, comment les Négritos peuvent se placer entre les Hindous et les Européens. La moyenne de 0,15 trouvée sur les Européens concorde avec les valeurs généralement observées dans les très nombreuses expériences qui ont été faites en Europe ; mais tous les chiffres d’Européens se rapportent à des sujets des classes cultivées. J’ai voulu voir ce qu’est le temps de réaction dans d’autres classes sociales, et de retour à Paris, en 1895, j’ai fait les expériences suivantes.

3 ouvrières parisiennes donnèrent les valeurs :

  • 0,18, 0,16, 0,18.
  • Moyenne, 0,17.

3 étudiants, examinés comme expérience de contrôle, donnèrent :

  • 0,13, 0,16, 0,13, 0,16, 0,15.
  • Soit encore la moyenne de 0,15.

Enfin je crus trouver un bon matériel d’études pour déterminer le temps de réaction du peuple de Paris, en allant faire des expériences dans les chauffoirs installés par la municipalité ; la clientèle de ces établissements se composait en effet pour la plus grande part d’ouvriers sans travail. 12 sujets, choisis comme exempts des causes d’erreurs suivantes : maladie, inanition, fatigue, alcoolisme, et tous ouvriers en chômage, donnèrent les moyennes suivantes :

  • 0,23, 0,21, 0,20, 0,18, 0,18, 0,13, 0,19, 0,13, 0,18, 0,18, 0,13.
  • Soit comme moyenne générale, 0,18.

Ainsi, il y aurait un écart de 3/100 entre la classe cultivée et les travailleurs manuels ; le peuple de Paris serait à ce point de vue très voisin des Négritos ; et plusieurs Parisiens observés dans les chauffoirs donnent un chiffre du même ordre que les convicts hindous de l’hôpital de Port-Blair. Sous l’empire de cette conception a priori, que la rapidité de réaction devait traduire la supériorité de l’organisation nerveuse (conception conforme, je pense, aux idées courantes), ces résultats me parurent inintelligibles, et j’abandonnai ces recherches. Quelques années plus tard, à la suite d’études toutes différentes sur l’évolution quantitative du système nerveux, je suis arrivé à me rendre compte clairement que le temps de réaction ne peut pas être conditionné par un facteur proprement anthropologique, tel que le développement plus ou moins considérable de l’encéphale. Le perfectionnement de l’organe permet des processus de plus en plus complexes, qui exigent des temps de plus en plus longs pour s’accomplir ; mais il n’y a aucune raison pour que le temps des processus simples (tel que la réaction simple ou la réaction avec choix) en soit modifié. Un animal quelconque, une grenouille, si l’on veut, réagira aussi vite, peut-être plus vite qu’un homme, par exemple, à un bruit signalant une proie ou un ennemi. Ce qui fait varier le temps de réaction, c’est l’état fonctionnel, dynamique, du système nerveux, état variable, comme on sait, suivant l’ensemble des conditions biologiques. La question, telle que je me l’étais posée, à savoir l’influence de la race sur le temps de réaction, est donc illusoire. Si l’expérience donne pour des groupes ethniques divers des valeurs particulières, c’est que les individus de chacun de ces groupes sont soumis à des conditions plus ou moins semblables.