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grandeur corporelle; seules, les données géométriques et physiques conditionnant la perte de chaleur règlent ces consommations. Cette constatation, que je trouvais en étudiant la question de l'albumine, se rattache d'une façon heureuse aux recherches sur les animaux faites spécialement dans cette direction par d'autres auteurs. Elle contribua à établir que le point de vue énergétique est quantitativement le plus important dans la théorie de l'alimentation.

Je défendis ce point de vue à un moment où il était encore très contesté, dans l'article « Aliments » du Dictionnaire de Physiologie, article fait en collaboration avec M. Charles Richet (40) et dans le cours public que je faisais à l'Ecole d'Anthropologie (85). J'y pris parti pour la théorie des substitutions isodynames de Max Rubner, théorie étroitement liée à cette conception énergétique, et devenue aujourd'hui classique ; pour les mêmes raisons théoriques, et aussi en vertu des constatations faites dans mes expériences, j'admis l'utilisation isodyname des petites quantités d'alcool, fait péremptoirement démontré plus tard par Atwater et Benedikt; je repoussai complètement l'idée d'aliments d'épargne et j'expliquai, par un mécanisme nerveux, l'illusion subjective qui avait donné lieu à cette idée (1). En 1902, quelques physiologistes des plus éminents étaient encore rebelles à l'idée qu'un pardessus ou du charbon de calorifère peut remplacer un bifteck (2). M. Jean Larguier des Bancels, dans un travail exécuté sous ma direction, ajouta au faisceau des preuves antérieures un fait qui me parait particulièrement démonstratif. Des pigeons furent soumis à des températures variées par périodes de plusieurs jours consécutifs; ils conservèrent un poids sensiblement constant; leur consommation alimentaire étant notée avec précision, il fut constaté qu'entre 8 degrés et 27 degrés la quantité de nourriture absorbée est fonction (à peu près linéaire) de l'écart de température entre l'animal et le milieu; la nourriture offerte aux pigeons et prise par eux suivant leurs besoins était du blé. Voici les chiffres d'une expérience:

  • Température en degrés:
  • Consommation journalière:
  • Blé en grammes:
  • Calories:
  • Périodes:
  • Janvier: 9-19; 12-29;
  • 9,5; 21,38; 74,23; 12,9; 20,48; 71,11;
  • Février: 29-4; 4-11; 11-21;
  • 8,8; 23,08; 80,13; 25,6; 16,28; 56,52;
  • Mars: 21-4; 4-15;
  • 27,1; 15,86; 55,00; 8,8; 22,57; 78,36.

Si l'on considère les variations à partir de la température ordinaire, 13-18 degrés, on voit que pour les températures plus basses, la consommation monte (comme tout le monde l'admettait) et que pour toute température plus élevée, la consommation baisse; avec un animal de la taille du pigeon, la relation est frappante: les moindres variations de température sont fidèlement suivies par l'alimentation. Il y a donc, à cette température ordinaire, de la chaleur qui est produite pour de la chaleur et non comme résidu d'un fonctionnement organique indépendant de ce résultat.

  • (1) Cet exposé a été souvent cité et mis à contribution par les auteurs qui, ensuite, ont traité en France de l'alimentation et de la nutrition. Voir notamment Eugène Lambling: "Les échanges nutritifs", un fascicule de l'encyclopédie chimique, 1897, et "Notions générales sur la nutrition à l'état normal", dans le "Traité de Pathologie générale" de Bouchard, t. III, 1899.
  • (2) Une grande partie de la discussion s'est faite oralement, notamment aux séances de la Société de Biologie, et c'est seulement de loin en loin qu'un des thèmes prenait la forme écrite.