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d'une habitude à un besoin? Les peuples se nourrissent de ce qu'ils ont; or, l'aliment végétal qui fait la base de la nourriture européenne, le blé, est, par lui-même, déjà relativement riche en azote albuminoïde, même sans aucune adjonction d'aliment animal. Il y a de grandes régions du globe où l'aliment correspondant est plus pauvre en azote. Comparons, par exemple, au blé, la durrha (Sorghum vulgare), qui est la céréale d'une grande partie de l'Afrique et d'une partie de l'Asie, ou le riz, qui est la céréale de l'Asie méridionale et orientale. Pour cent parties de ces trois céréales, on trouve comme albumine, en chiffres ronds : blé, 12; durrha, 8; riz, 6. Si nous calculons la quantité d'albumine correspondant à une valeur calorifique de 3000 calories (chiffre de la consommation du sujet de Voit et Pettenkofer), on trouve avec la durrha, 60 grammes; avec le riz, 52 grammes seulement d'albumine. C'est évidemment chez les peuples qui ont à se nourrir avec des substances pauvres en albumine qu'il faut voir — s'ils s'en contentent — s'ils ajoutent toujours des aliments plus azotés, — ou s'ils engloutissent des kilogrammes de nourriture pour trouver quand même ces 120 grammes, au moins ces 100 grammes d'albumine posés comme une nécessité absolue. Il ne faut pas oublier que ce sont les Japonais qui ont élevé les premiers doutes contre cette nécessité. Il y avait intérêt à reprendre avec précision, hors d'Europe, des observations de régimes opératoires. A ce moment, je trouvai dans le voyage de la Sémiramis l'occasion de faire de telles observations; Mme Jules Lebaudy voulut bien faire installer une cabine de son yacht en laboratoire propre à l'analyse des rations, et je pus, sur place, faire les déterminations suivantes.

  • Régime des Abyssins (26).

Mes observations ont été faites dans l'hiver de 1892-1893 dans la colonie italienne de l'Erythrée (capitale: Massouah), où j'ai séjourné deux mois. Les Abyssins se nourrissent presque exclusivement de durrha. La farine de ce grain sert à faire des galettes (engera) analogues à celles que faisaient et font encore en quelques régions les paysans d'Europe, avec nos propres céréales. Il y a une partie notable de la population qui ne consomme, avec ces galettes, que des condiments sans valeur alimentaire notable. Ceux qui vivent dans une aisance suffisante pour s'accorder une nourriture tout à fait conforme à leurs goûts y ajoutent une petite quantité d'aliments plus azotés, du lait, des graines de légumineuses, de la viande de loin en loin. (La réputation de grands mangeurs de viande faite aux Abyssins reposait sur des récits de voyageurs ayant assisté à des festins exceptionnels.) Le régime que j'ai considéré comme typique, et comparable aux observations européennes,