Page:Laperche - Sur la branche.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
SUR LA BRANCHE

delés qui rappellent certains Anglais de grande race et qui ont probablement avec eux des ancêtres communs. L’accroissement du luxe et du bien-être est sensible ici comme ailleurs. Les bébés, les petites filles ont toutes un bout de ruban dans les cheveux. Hier, j’ai croisé une gamine de quatorze ans, très bien habillée, qui tenait un livre d’une main et de l’autre les cordes de trois vaches qu’elle menait aux champs, Ceci m’a semblé bien caractéristique de notre époque. J’ai souri au progrès que je voyais passer.

Avant de disparaître derrière les hauteurs de Gaillon, le soleil projette quelques-uns de ses rayons sur la rivière, y met des bandes d’or, d’argent, de ce vert qu’en blason on appelle sinople, il touche, au-dessus de la plage d’Herqueville, des rochers qui semblent s’être dénudés pour recevoir son baiser de couchant, et cette merveilleuse illumination ne produit que de la

  • tristesse. Pourquoi ? À cet endroit, la Seine, très large,

divisée par des îles, a l’air d’un grand fleuve ancien. Les nuits de lune, elle est saisissante. Le coteau boisé de la rive opposée y met des ombres fantastiques. À certain tournant, on s’attend à voir paraître non pas des barques, encore moins des remorqueurs, mais des pirogues, et deux fois, j’ai eu à ma fenêtre, le frisson d’un passé très lointain. Non, Porte-Joie n’est pasgai, et cependant la halte de quinze jours que je viens d’y faire m’a semblé délicieuse, rafraîchissante et bien courte… trop courte hélas ! car demain, je dois le quitter. Je sens maintenant la fatigue de tout ce que j’ai vécu pendant l’année qui vient de s’écouler. Mon âme et mon corps n’ont cessé d’être sous haute pression, et ils commencent à demander grâce. Par mo-