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SUR LA BRANCHE

femme de grande bonté, s’intéressa à l’étranger. Sur sa prière, elle lui chercha des leçons et réussit à lui trouver cinq élèves, moi comprise. Pauvre M. Gray ! Je suis sûre que personne en ce monde ne se souvient de lui. Son image n’existe probablement plus que dans une cellule de mon cerveau. Comment y a-t-elle été imprimée si profondément ? Par la puissance occulte de la douleur qu’il portait en lui peut-être! II est là, avec sa silhouette maigre, sa longue taille voûtée, sa pâleur nacrée, ses yeux tristes. Chose curieuse, presque incroyable, pour qui ne sait pas la merveille que nous sommes, je sens encore l’impression de froid physique que me donnait ce corps d’où la vie se retirait. Je revois sa main fine, transparente, aux ongles bien taillés qui se détachait sur mes livres. Elle me fascinait, m’imposait, comme si à mon insu j’eusse subi le prestige de la race supérieure dont elle témoignait. Du reste, avec M. Gray, j’étais extraordinairement attentive et docile. Il m’enseignait sa langue au moyen de la grammaire Robertson. Soit que la méthode fût bonne, soit que j’y eusse une aptitude innée, je ne mis pas longtemps à la comprendre. Il y avait en Angleterre toute une littérature enfantine, alors que nous en étions réduits aux Veillées du Château, aux Exilés en Sibérie, aux Contes de Berquin et que nos éditions roses et bleues se trouvaient encore dans les limbes de quelques cerveaux féminins. Dans leurs livres, pas de sermons, pas de modèles de sagesse impossibles à imiter, mais de vrais petits garçons, de vraies petites filles, tous les animaux de l’arche deNoé, de la vie enfin. Cela m’allait. Ces histoires me ravissaient et excitée par la curiosité, je cherchais sans