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SUR LA BRANCHE

Saint-Augustin et Sainte-Monique, d’Ary Scheffer. En face de la porte d’entrée, la Victoire de Samothrace. Épinglée à côté de mon lit, une gravure de Willette, étrange et belle : contre un ciel noir, traversé d’éclairs, se dresse une grande croix sur laquelle est cloué un être humain aux traits rudes, mal dégrossis. C’est le mauvais larron. Il est là, agonisant, les cheveux soulevés par un vent d’orage, mais point seul. Une femme du peuple a les bras autour de son cou, les lèvres sur ses lèvres. Pour atteindre sa bouche, elle a dû se hisser sur sa monture, un petit âne blanc conduit par un enfant qui, honteux, s’appuie contre le bois infamant. Est-ce l’amour de Montmartre, de Saint-Ouen, de Saint-Lazare ?… je ne sais, mais dans ce baiser, dans ce corps de femme tendu, exhaussé jusqu’au crucifié, il y a une force de tendresse maternelle qui fait croire au pardon. Toutes ces choses peuplent ma solitude, pressent contre mon cerveau, contre mon cœur et en font jaillir des pensées et des sentiments. Quand j’ai, en outre, dans ma chambre, des fleurs et du feu, elle me semble gaie et délicieusement intime. Pour une femme qui, comme moi, aime les vastes pièces, hautes de plafond, les étoffes soyeuses, les objets artistiques doux à l’œil et au toucher, les beaux tableaux, cette demeure banale devrait m’être une torture. Eh bien, non, je me suis attachée aux objets qui m’entourent à cause de leur laideur même. La bergère de ma pendule en chapeau rond avec une colombe sur l’épaule, un mouton à ses pieds, une houlette à la main, la pendule elle-même, qui autrefois m’eussent causé un continuel grincement de dents, me sont devenues chères. Et puis, ce que j’aime