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SUR LA BRANCHE

autrefois entourée de visages, chers, entendre les meubles craquer pendant les soirées d’hiver, voir les visiteurs se faire rares, n’être plus en contact avec le monde que par les journaux, ce serait une véritable petite mort. La Providence m’y a soustraite, je ne cesse de l’en remercier.

Mon esprit, délesté des soins du ménage, de toute préoccupation matérielle, a pris un nouvel essor. On eût dit qu’il avait été rechargé et avec une électricité plus subtile, plus puissante. À l’âge où l’on se sent décroître, je me sens en progrès, et j’ai pu monter dans « le dernier bateau ». Assurément le phénomène ne m’est pas spécial. Corot disait que pour saisir l’âme et la beauté d’un paysage, il fallait « savoir s’asseoir » ; je crois que j’ai réussi à savoir m’asseoir pour regarder la vie. Du point où je me suis placée après bien des tâtonnements, elle m’apparaît belle et bonne, oui, bonne… Je vois l’homme, non plus comme un aveugle en liberté, mais comme un coopérateur de l’œuvre divine, immortel comme elle. Je le vois, marchant en pleine éternité, conduit vers des buts lointains et glorieux. Cette vision nouvelle m’est une source d’enseignements précieux, de consolations, d’espérances infinies. Pourquoi ne les donnerais-je pas à ceux qui en ont besoin ? Pourquoi ne penserais-je pas pour ceux qui n’ont pas le temps de penser ? Pourquoi ne regarderais-je pas pour ceux qui n’ont pas le temps de regarder ? « Sur la branche », on voit de plus haut et plus loin aussi, oh ! beaucoup plus loin.