Page:Laperche - Ile inconnue.djvu/96

Cette page n’a pas encore été corrigée
80
L’ÎLE INCONNUE.

à se retirer tout de suite après le bridge. M. Baring m’emmena dans la bibliothèque pour une bonne bataille, comme il dit plaisamment.

Malgré ses dispositions belliqueuses, notre conversation fut des plus pacifiques, une conversation de mœurs et de caractères comparés.

— Savez-vous, dis-je, que pour moi l’Angleterre reproduit la fourmilière et la France, la ruche ?

— Ah bah !

— Oui, voyez : dans la première des antennes, le grain comme nourriture, la force admirablement canalisée, le travail austère et gigantesque, pour but l’extension et la richesse. C’est le triomphe du masculin. Dans la seconde, dans la ruche tueuse de rois et de reines, des ailes, de la lumière, de l’azur, des fleurs, du miel, un labeur varié et capricieux, une atmosphère surchauffée… c’est le triomphe du féminin.

Rodney interrompit sa fumerie et me regardant tout ahuri :

— By George ! Quelle comparaison !

— Et il faut des fourmis et il faut des abeilles. Il faut une Angleterre, il faut une France, toutes deux croient travailler pour elles-mêmes et elles travaillent pour la vie.

— Il me semble que cet arrangement-là ne leur laisse guère de liberté.

— Aucune.

— Diable ! si la liberté est une illusion, vous pouvez être sûre que les hommes s’y cramponneront longtemps encore.

— Jusqu’au jour où ils pourront s’en passer.