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L’ÎLE INCONNUE.

Saint-Olaf.

Monsieur Baring et moi nous sommes devenus une paire d’amis. Je l’appelle Rodney tout court. De temps à autre, il m’arrive de lui dire : « My dear boy. » Malgré ses vingt-sept ans, il a l’air très jeune. Pour lui, je suis maintenant un bon garçon. J’apprécie le compliment. À mon âge, on a toujours trop de respect. Il m’apporte chaque soir le Figaro. J’ai mes grandes entrées dans sa hutte. Je n’en ai pas exclu la dame du lieu, certaine pipe qui lui est très chère, une pipe discrète d’homme bien élevé. Il m’installe dans son meilleur fauteuil et avec un accent de jolie sollicitude, il me demande toujours : « Êtes-vous tout à fait confortable ? » Voilà encore une phrase bien caractéristique. Procurer du confort aux gens est le premier soin de l’Anglais, l’agrément vient ensuite. Le Français, lui, songe d’abord à l’agrément.

Dès le lendemain de mon arrivée, j’ai cherché à engager la causerie avec mon hôte. Cela n’a pas été tout seul. Il a fallu vaincre sa timidité et une instinctive méfiance. J’y ai réussi à notre mutuelle satisfaction.

Notre langue lui est plus familière que je ne l’aurais cru. Il a d’abord, non sans un effort considérable, lancé quelques phrases françaises, quand il a vu que je ne riais pas, il a continué et s’est mis bravement à nager à travers nos verbes et nos difficultés grammaticales. Je l’ai surpris lisant un roman de Balzac. Cela m’a causé le plaisir d’une victoire nationale.