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SAINT-OLAF.

crois pas me tromper en disant qu’elle est un des agents secrets de la nature, le plus formidable des pouvoirs invisibles sous le plus mince volume. Depuis que je suis capable de me rendre compte de cela, je la touche avec un respect mêlé d’effroi.

La Bible est vraiment la pierre angulaire de l’Empire britannique. Elle devrait figurer dans ses armes entre le lion et la licorne. On la trouve partout. À Londres, il m’arriva une fois de manquer un train, je fus obligée d’attendre quelques heures dans le salon de Great Western Hotel. Il y avait là trois seuls livres et ils représentaient assez curieusement les trois grandes forces de la nation : c’était l’Annuaire de la marine, l’Annuaire du commerce et la Bible ! Voyez-vous la Bible dans un de nos hôtels Terminus ? Le Français ne connaît pas la Bible. Elle lui donne une impression de puritanisme étroit, de caractère morose, de laideur physique. Il n’y a jamais cherché lui-même la parole de Dieu, elle lui demeure fermée. L’Anglais, au contraire, y trouve toutes les consolations, toutes les promesses, toutes les espérances. Enfant, il a été suggestionné à l’aimer, à la révérer. Il a vu le visage de sa mère s’empreindre de gravité en l’ouvrant et les mots incompris créer un silence particulier. Il en a reçu une indélébile impression de crainte mêlée de respect. Avant même qu’il ait pu lire, il en a convoité la possession et cette possession a semblé le grandir, sa main, toute petite, l’a serrée comme un trésor. Les distributions des Bibles, que font infatigablement nos voisins, ont toujours excité nos railleries. Eh bien, il y a dans le livre des poètes sacrés quelque chose