Page:Laperche - Ile inconnue.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
l’île inconnue.

rèrent trépignants d’enie deant le chat qui, avec sa petite langue, n’était pas allé aussi vite en besogne. Ils eussent pu l’écarter d’un coup de museau, mais ils savaient bien qu’ils ne devaient pas le faire. Je voyais le reflet de la lutte sur leurs physionomies. On eût dit que Lord avait conscience du supplice qu’il leur imposait et qu’il en jouissait. Il s’arrêtait de boire, fermait les yeux à demi, puis au premier mouvement en avant de ses compagnons, il recommençait. Quand il eut fini, il se redressa, s’étira, Jack et Bob se précipitèrent sur son reste de thé et n’en firent qu’une lampée. Bob se mit ensuite à lui lécher les babines jusqu’à ce qu’un coup de griffe înt mettre fin à cette effusion intéressée. Cette petite scène s’était souvent jouée devant moi, mais je n’avais jamais aussi bien remarqué les traits de sentiments humains qu’elle renfermait. Non, en vérité, il n’y a point de solution de continuité dans la chaîne des êtres.

Je m’attardai à mon goûter. Des couples de merles soupaient sans crainte sur la pelouse, suivis de près comme toujours par des moineaux. Je me suis demandé le motif qui amenait ces derniers dans leur sillage. Serait-ce le snobisme, la vanité d’escorter un grand oiseau ? Je promenai un long regard affectueux sur toutes les créatures qui m’entouraient, sur les beaux arbres, sur les plates-bandes de fleurs. La jolie maison reine Anne qu’éclairait le soleil couchant avait toutes ses fenêtres ouvertes, on aurait pu la croire inhabitée. Par un sentiment entièrement subjectif, il me sembla que dans son aspect il y avait déjà de la tristesse, de l’abandon. Pauvre demeure sub-