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l’île inconnue.

plan pour l’été, qui lui inspirait le désir de s’acheter un chapeau vert. — Bleu, corrigea de nouveau miss Baring.

— Bleu, si vous voulez. Cette volonté ignorait donc l’avenir tout proche ?

— Non, elle ne l’ignorait point ; mais nous ne devons pas travailler pour nous seuls en ce monde. Avec l’intention d’aller à la mer, votre sœur a fait diverses emplettes, elle s’est commandé entre autres deux costumes de flanelle. Elle a ainsi donné de l’ouvrage à quelqu’un. La location d’une maison en Ecosse a mis en mouvement plusieurs personnes, nécessité tout un échange de lettres, que sais-je encore ?

— Mais ce chapeau bleu… ce chapeau bleu… fit Rodney les yeux brillants de taquinerie.

— Eh bien, elle y a pensé, elle l’a imaginé, il l’a occupée. Il faut toujours qu’il y ait du grain sous la meule, la nature le sait bien.

Rodney se mit à rire.

— Pas mal trouvé… pas mal.

— Plaisanterie à part, continuai-je, l’objection que vous faites m’a longtemps gênée. Je ne pouvais m’expliquer les espoirs nourris puis déçus, les projets qui n’aboutissent pas, les rêves irréalisables, les insuccès, les blocs jetés sur notre route. Maintenant, je me rends compte qu’ils ne sont jamais, jamais inutiles, ,. ni à nous-mêmes, ni aux autres, qu’ils servent à la vie. Nos succès sont les succès des dieux, nos défaites sont les leurs aussi. Voilà qui consolera l’humanité quand elle sera plus éclairée.

— C’est vexant en diable de ne pouvoir com-