Page:Laperche - Ile inconnue.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
SAINT-OLAF.

usages nous enlèverait tout prestige, prestige très difficile à garder dans une ville suburbaine et avec une fortune modeste. Je ne sais si une Française peut comprendre cela ; mais en Angleterre, les basses classes ne respectent que les gens qui ont de la naissance. Les domestiques tiennent avant tout à ce que leurs maîtres soient des genllemen et des ladies. Ils s’en trouvent relevés à leurs propres yeux, j’imagine. Nous ne sommes pas républicains vous savez, ajouta mon amie avec un sourire malicieux.

— Non, vous êtes même tous plus royalistes que le roi.

— J’en ai peur.

— En nous reconduisant, madame S… s’excusa de m’avoir parlé domestiques.

— Comment donc ! m’écriai-je, mais cela valait le voyage.

Et je fus reprise d’un accès de rire à la pensée de cette brave fille qui ne voulait pas avoir les joues rouges pour se promener avec son amoureux.

Hier, sur le Common, j’ai croisé une des femmes de chambre de Saint-Olaf. Elle était à bicyclette, aec une jupe de percale, un chapeau garni de fleurs éclatantes. Elle paraissait toute jeune, son visage était gai et animé. Quand deux heures plus tard, je la revis dans la salle à manger en « cap » et en tablier, debout derrière madame Baring, je demeurai saisie de sa transformation. Sa physionomie était fermée, dure, hostile même, elle semblait de dix ans plus âgée. J’eus la sensation presque physique de la barrière qui existe ici entre maîtres et serviteurs. C’est une de ces barrières morales qui s’élèvent très vite,