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l’île inconnue.

je l’emmènerais tout droit en Norvège où je la conduirais dans quelque jolie house-boat (maison-bateau).

— Vous avez sûrement encore du sang de lacustre dans les veines, fîs-je sérieusement,

— Ou du sang danois, Scandinave. En attendant, j’imagine que je serai condamné à subir l’épreuve en plein. On ne me fera grâce ni des tambours, ni des trompettes, ni des demoiselles d’honneur, ni des poignées de riz, ni même des pantoufles qui doivent conjurer le mauvais sort… Oh ! je suis résigné à tous les sacrifices. Ma petite camarade me dédommagera.

— J’en suis sûre, répondis-je avec conviction.

Sur ce mot, je me levai, tendant imprudemment la main à mon hôte. Inconsciemment, il la serra avec une force qui me fît faire la grimace. Chez l’Anglais, le sentiment va aux muscles, comme chez le Français il va à la tête, et dans un moment de joie ou de chagrin, son étreinte est plutôt douloureuse.

Je suis ravie d’avoir eu cette jolie idylle à me mettre sous la plume. Elle m’a reposée de tous ces tableaux sévères que j’ai dû dessiner ; de plus, elle a fait ressortir pour moi la différence qui existe entre l’amour conjugal anglais et l’amour conjugal fran çais. Le premier m’apparaît comme un beau fleuve large et profond, aux rives plates, filant doucement mais sûrement à la mer. Le second, ou contraire, me fait l’effet d’un fleuve tumultueux plein de remous, coulant entre des bords escarpés, sautant bravement les obstacles, formant des gerbes d’écume pour attraper de la lumière, s’égarant souvent, se