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l’île inconnue.

paraissait seule consciente. Elle brillait dans ses yeux, souriait sur ses lèvres, répandait sur son visage une joie diffuse qui l’adoucissait, le rajeunissait et, comme toujours, j’étais ravie de pouvoir saisir ce dédoublement de l’individu, qui ne se produit qu’aux heures de surexcitation.

— Ils sont tous contents, ajouta-t-il après avoir terminé son récit. Cependant, Sir Charles n’est pas fâché d’en être quitte pour des fiançailles. Il tient à conserver sa secrétaire aussi longtemps que possible. Je comprends cela. Je suis bien résigné à patienter une année. Si au bout de ce temps quelqu’un ne fait pas quelque chose pour moi, j’achète un permis de mariage, — coût trois livres, — et j’épouse Ruby d’autorité. Deux témoins, nos noms sur le registre d’une paroisse quelconque et nous voilà unis, « for better and for worse » (pour le mieux et pour le pire). Cette facilité de prendre femme serait un peu dangereuse en France, n’est-ce pas ? me demande le jeune homme en souriant.

— Ah ! il faudrait faire la part du feu. Cependant, si la loi donnait aux parents, comme chez vous, la liberté de tester et punissait la bigamie d’une forte peine, cette liberté ne pourrait faire grand mal et elle produirait beaucoup de bien. Du reste, en Angleterre, elle n’est pas non plus sans périls.

— Je vous l’accorde.

— D’autant mieux que l’Anglais de dix-huit à vingt ou vingt-trois ans a généralement la fièvre du mariage. Cet âge est plus dangereux pour lui que pour le Français. Quand il a quelques verres de Champagne dans la tête, il le proposerait à un singe coiffé.