Page:Laperche - Ile inconnue.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
SAINT-OLAF.

elle-même… et avec quelle joie inlimc ! Ce regard si joliment maternel me rassura mieux que des paroles sur le bonheur de mon hôte et, curieusement, il alla réveiller en moi un très ancien souenir. J’avais seize ans à peu près, lorsque j’entendis un vieil Anglais, inconsolable de la perte de sa femme, dire en matière de suprême éloge : « Pendant quarante ans, elle ne m’a jamais servi un morceau que je n’aimais pas. » J’avais trouvé cela odieux, d’un haut comique. Ma mère s’était contentée de me répondre : « Tu comprendras plus tard ! » J’ai compris… oh ! j’ai compris. Si je ne me trompe, Ruby aura cette précieuse intuition, — une chose très rare, et j’en félicitai intérieurement M. Baring.

Ce soir-là, au bridge, les cartes désignèrent trois fois de suite les jeunes gens comme partenaires. À la troisième fois, Rodney poussa un hourra de triomphe, miss Talbol se tut, mais un beau ton de rose il s’étala indiscrètement sur ses pommettes. Afin de prouver à nouveau la fausseté du proverbe, la victoire souffla constamment du côté des amoureux, les schlems, les sans atouts se succédèrent impitoyablement et nous perdîmes aec des cartes magnifiques.

Après la partie, nous nous rendîmes dans la bibliothèque selon notre habitude. Miss Talbot alla chercher la petite guitare, qu’à la prière d’Edith elle avait apportée, un vrai joujou, acheté à Paris sur le boulevard Bonne-Nouvelle pour la somme de huit francs et dont elle tire un accompagnement suffisant. Elle nous chanta de vieilles chansons avec un goût, un sentiment bien rares chez une Anglaise.