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l’île inconnue.

meurent dans des quartiers perdus, on se glisse chez elles en catimini. Ici, elles ont élu domicile en plein centre élégant. Beaucoup sont installées au-dessus des salles de thé. Notre Colombin et notre Rumpelmeyer auront-ils un jour des devineresses ? La consultation coûte une guinée ou une demi-guinée. Quelques-unes de ces voyantes se sont fait, le diable seul sait comment, une véritable renommée. Le métier est bon, paraît-il. Je n’en suis pas surprise. Le Saxon a conservé plus de traits de l’homme primitif que le Latin, Il y a en lui un fond de superstitions ataviques, une crédulité enfantine, une passion pour tout ce qui est occulte. Cela explique l’anachronisme des pythonisses et des trépieds fonctionnant encore si activement au cœur de la métropole anglaise.

Comme je faisais intérieurement cette réflexion, une enseigne arrêta mon regard : « The old oak tree tea rooms » (Au vieux chêne, salles de thé). Ou’est-ce que le thé avait à faire avec le vieux chêne, — ou le vieux chêne avec le thé, — je ne le voyais pas et je voulus voir.

— Entrons ici, dis-je alors.

— Sous votre responsabilité ? stipula miss Baring.

— Sous ma responsabilité.

Oh ! la curieuse maison de thé ! Un escalier étroit, trois salles dont l’une donnait sur la rue, les deux autres sur des cours, des tables, des chaises d’une lourdeur antique, d’un bois foncé simulant assez bien le vieux chêne, des potiches et des porcelaines hollandaises ; des verdures, des fleurs, des vitraux peints. Pour compléter l’illusion artistique, les « tea girls » étaient vêtues de robes de drap rouge, jupes très