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SAINT-OLAF.

Cet après-midi, miss Baring et moi avons refait ce trajet. La chaleur était suffocante. En émergeant à ciel ouvert, nous avons eu une longue aspiration simultanée.

— Est-il assez laid, assez enfumé notre chemin de fer ! Heureusement que nous avons le tube pour rivaliser avec votre Métropolitain si joli, si élégant.

— Ne soyez donc pas ingrate. Les fourmis anglaises ont été les premières, je crois, à creuser ces parcours souterrains, ces tunnels dont la nature avait besoin pour activer notre mobilisation. Quels efforts de pensée et de muscles cela leur a coûté ! Songez-y donc ! Combien de pierres n’ont-elles pas portées, combien de pelletées de terre n’ont-elles pas enle’ées avec ces pauvres antennes que nous appelons des bras. Et elles travaillaient pour la masse, pour l’avenir, pour ous, pour moi après tout.

Mon amie s’arrêta net et me regarda avec une expression d’étonnement :

— Je n’avais jamais songé à cela, fît-elle.

— Non, nous vivons notre vie comme des enfants, nous sommes encore incapables d’apprécier la vie en elle-même. Il faut être aussi vieille que je le suis-, aussi détachée de soi-même pour voir ces choses qui lui donnent un prix infini, une saveur extraordinaire. Il m’arrive quelquefois d’envoyer de muets remerciements aux mains disparues qui ont pavé ma route, ou qui l’ont embellie. Ces remerciements arrivent-ils à leur adresse ? Je l’ignore, mais j’ai la sensation qu’ils ne sont pas perdus.

Miss Boring passa brusquement son bras sous le mien.