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un instinctif besoin de dévouement. Elle se dérange à chaque instant pour celui-ci, ou celle-là, pour les animaux mêmes. Et rien ne l’embarrasse. Elle aime à préparer un pique-nique, à faire l’itinéraire d’un voyage, à organiser des fêtes pour les enfants. Elle a l’art de combiner les mouvements avec une justesse de coup d’œil, un art tout à fait anglais et qu’elle doit à la camaraderie masculine. Comme nombre de ses compatriotes, elle a le corps hardi et musclé, l’âme timide, l’esprit tranchant et caustique, hérissé de quelques préjugés invétérés. La bourgeoisie et les Américaines sont ses deux bêtes noires. Ces dernières surtout excitent sa verve railleuse. Elle se moque sans pitié de leur accent, de leurs manières. Elle manque absolument de justice envers elles. Oh ! ces rivalités de races, comme elles sont implacables ! Miss Baring est plutôt hautaine avec ses égaux, avec les petits, au contraire, elle est très affable. Le sentiment que je lui inspire est bien curieux. Il y a dedans un peu de son amour pour la France, c’est la Française qu’elle aime en moi. Il y a encore la curiosité du romancier que je suis, puis, beaucoup de pitié pour ma solitude. Je pourrais être sa mère, mais elle me traite comme une sœur aînée. Quand nous causons ensemble, j’oublie que je suis une vieille femme. Certaines personnes jeunes ont ce pouvoir sur moi. Malgré notre intimité, elle ne m’a fait aucune confidence sur sa prime jeunesse. Ce n’est pas un cœur fermé que le sien, c’est un cœur clos. Elle m’a seulement appris qu’elle avait dû se marier à dix-neuf ans et que son fiancé était mort quinze jours avant de s’embarquer pour l’Europe. Mon intuition me fait deviner qu’il y