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interroger sur l’administration des illustres rois de l’antiquité ? — « Telle fut l’administration de ces illustres rois, lui dit Lao-tseu, que leurs mérites couvrirent l’empire comme à leur insu ; l’influence de leur exemple s’étendit à tous les êtres ; ils rendirent le peuple heureux sans faire sentir leur présence ; ils eurent une vertu si sublime, que la parole humaine ne peut l’exprimer ; ils résidèrent dans un asile impénétrable et s’absorbèrent dans le Tao ! »

Lao-tseu étant sur le point de s’éloigner et de sortir par le passage de l’ouest pour monter sur le Kouen-lun, In-hi, gardien de ce passage, qui savait tirer des présages du vent et de l’air, prévit qu’un homme doué d’une nature divine allait infailliblement arriver, et il nettoya la route sur une étendue de quarante lis. Il vit Lao-tseu et reconnut en lui le personnage qu’il attendait.

Lao-tseu était resté longtemps dans la ville impériale sans communiquer sa doctrine à personne. Sachant donc que In-hi était destiné par le ciel à posséder le Tao, il s’arrêta près de lui à la station du passage. Lao-tseu avait pris à son service un homme nommé Siu-hia. Ayant compté son salaire à raison de 100 mas[1] par jour, il trouva qu’il devait à Siu-hia 72,000 onces d’argent. De son côté, Siu-hia, voyant que Lao-tseu allait sortir du passage pour voyager, réclama aussitôt ce qui lui était dû et ne put l’obtenir. Il chargea quelqu’un d’aller trouver en son nom le gardien du passage, afin qu’il parlât à Lao-tseu. Mais l’envoyé ignorait que Siu-hia fût au service de Lao-tseu depuis plus de deux cents ans. Ayant calculé dans son esprit la somme que devait recevoir Siu-hia, il promit à celui-ci de lui donner sa fille en mariage. Siu-hia fut charmé de la beauté de sa fille. L’envoyé s’acquitta de sa commission auprès de In-hi, qui fut rempli d’étonnement, et alla voir Lao-tseu.

Le philosophe interrogea Siu-hia et lui dit : « Je vous ai loué jadis pour remplir auprès de moi les fonctions les plus humbles ; votre famille était pauvre, et il n’y avait personne qui daignât vous donner de l’emploi. Je vous ai accordé le talisman de la vie pure, et c’est ainsi que vous avez existé jusqu’aujourd’hui. Comment

  1. Le dixième d’une once d’argent.