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Lao-tseu le vit et lui demanda quel livre il étudiait. « C’est le I-king, « répondit Confucius ; les saints hommes de l’antiquité le lisaient aussi. — Les saints hommes pouvaient le lire, lui répartit Lao-tseu, mais vous, dans quel but le lisez-vous ? Quel est le fond de ce livre ? « — Il se résume, dit Confucius, dans l’humanité et la justice.

« — La justice et l’humanité d’aujourd’hui ne sont plus qu’un vain nom ; elles ne servent qu’à masquer la cruauté, et troublent le cœur des hommes ; jamais le désordre ne fut plus grand. Cependant la colombe ne se baigne pas tous les jours pour être blanche ; le corbeau ne se teint pas chaque jour pour être noir. Le ciel est naturellement élevé, la terre naturellement épaisse ; le soleil et la lune brillent naturellement ; les astres et les étoiles sont naturellement rangés à leur place ; les plantes et les arbres sont naturellement classés suivant leurs espèces. Ainsi donc, docteur, si vous cultivez le Tao, si vous vous élancez vers lui de toute votre âme, vous y arriverez de vous-même. À quoi bon l’humanité et la justice ? Vous ressemblez à un homme qui battrait le tambour pour chercher une brebis égarée. Maître, vous troublez la nature de l’homme[1].

« Possédez-vous le Tao ? dit Lao-tseu à Confucius.

« — Je le cherche depuis vingt ans, répondit celui-ci, et ne puis le trouver.

« — Si le Tao pouvait être offert aux hommes, répartit Lao-tseu, il n’y aurait personne qui ne voulût l’offrir à son prince ; s’il pouvait être présenté aux hommes, il n’y aurait personne qui ne voulût le présenter à ses parents ; s’il pouvait être annoncé aux hommes, il n’y aurait personne qui ne voulût l’annoncer à ses frères ; s’il pouvait être transmis aux hommes, il n’y aurait personne qui ne voulût le transmettre à ses enfants. Pourquoi donc ne pouvez-vous l’acquérir ? En voici la raison : c’est que vous êtes incapable de lui donner asile au fond de votre cœur.

« — J’ai mis en ordre, lui dit Confucius, le Livre des vers, les

  1. Ces dialogues de Lao-tseu avec Confucius et Yang-tseu, sont composés, en grande partie, de fragments du philosophe Tchoang-tseu, liv. III, chap. Thien-yun, fol. 57, 59. (Voy. plus haut, pag. 1, not.’, II.)