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No. 11. LA MAILLE ÉCHAPPÉE.

Mademoiselle Manon, ci-devant femme-de-chambre chez un riche Banquier, s’eſt fait mettre à la porte parce qu’on l’a ſurpriſe allant ſe coucher avec le fils de la maiſon. Ils vivoient enſemble de plus loin, et il exiſtoit même une promeſſe de mariage. Manon, pour éviter une petite perſécution, dont elle ſe voyoit menacée, s’eſt réfugiée chez une vieille ravaudeuſe, pauvre, mais incorruptible, et qui, pour tout l’or du monde, ne ſe prêteroit pas à laiſſer faire de ſon grenier un boudoir. Dans ce taudis, Manon vit extrémement gênée et preſque priſonniere. C’eſt à condition de ne pas mettre le pied dehors, qu’on veut bien lui donner l’aſyle : mais l’amour ſait triompher de tous les obſtacles. Certain ſoir, un beau jeune homme survient au galetas ; il eſt très preſſé, fort éloigné du logis, et une maille de ſon bas vient de s’échapper ; il ſupplie qu’on veuille bien le tirer de peine. C’étoit à Mlle Manon que s’adreſſent la priere… « Non, non, Monſieur, interrompt la vieille, ici les pratiques n’ont affaire qu’à moi ; c’eſt moi, ne vous en déplaiſe, qui vais faire l’ouvrage. » On ſe doute bien que le jeune homme eſt l’amant de Manon. La bonne femme à genoux, ſes lunettes ſur le nez, travaille avec une attention profonde, et laiſſe de la ſorte au couple amoureux la liberté de goûter quelques légeres conſolations. Déjà Manon a dans ſa poche une lettre où tous les ſermens ſont confirmés et toutes les tendreſſes paſſionnément répétées. On a encore un peu de marge, on en profite pour le petit échange de careſſes que montre le deſſin. L’on y procède de ſi grand cœur, que cette beſogne ſera conſommée avant que Mad. Grognet n’ait achevé la ſienne.