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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

pour nous. Il est oiseux de répéter ce que nous y trouvons de timide, d’incohérent, d’artificiel, de faux et de faible : on l’a dit assez de fois. Mais elles furent neuves, fortes en leur temps : tâchons de les voir dans la lumière qui les éclaira, lorsqu’elles ravissaient Frédéric et Vauvenargues, Mme de Pompadour et Marie-Antoinette.

Racine avait fait rentrer dans l’intrigue serrée et dans l’analyse psychologique de la tragédie française les éléments d’émotion ou de poésie que Corneille avait de plus en plus négligés ; il les avait retrouvés chez les Grecs. Il laissa le public toujours curieux d’action surprenante et d’anatomie du cœur, mais obsédé d’un désir de poésie pathétique dont il n’avait pas clairement conscience, et qui se traduisait en curiosités et en dégoûts capricieux. Dans les dernières années de Louis XIV, un éveil de sensibilité, un goût de tendresse et de volupté altérèrent dans toute la littérature la sévérité de l’art classique. Alors, et surtout pendant la fête de la Régence, l’opéra ouvrit les yeux du public français au décor : le palais à volonté de la Comédie-Française commença de paraître insuffisant, et la représentation d’Athalie, en 1718, inaugura une époque nouvelle, celle où l’impression littéraire cherche à se renforcer, à se réaliser par la mise en scène et la figuration.

Cependant la nostalgie de l’émotion racinienne faisait son effet : dans l’œuvre de ses successeurs, dans la douceur mélancolique du pâle Campistron, dans les mélodrames attendris de La Grange-Chancel, dans les imbroglios boursouflés et violents de Cré-