Page:Lanson - Voltaire, éd5.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
VOLTAIRE.

vres ou faciles ; coupes peu variées, phrase courte, essoufflée : nous trouvons cet art flasque et monotone. Mais on goûtait alors dans ces vers sans hiatus et sans rudesses, dans leur cadence régulière que variait seulement le jeu de l’e muet, dans le glissement sans arrêt et sans fracas des syllabes claires et légères, on goûtait une fluidité, une mollesse harmonieuse, où l’on faisait consister, avant Delille et avant Chénier, la perfection de la versification. Voltaire déclamait ses vers avec emphase dans les grands genres, toujours en scandant vigoureusement, en découpant le rythme avec netteté. Qu’on lise ses jolies stances à Mme de Châtelet, ou ses Adieux à la vie, ses traductions de Shakespeare, d’Addison et de Dryden dans la 18e lettre anglaise ou son Poème sur le désastre de Lisbonne : et l’on verra que le vers de Voltaire poursuit le même idéal mélodieux que celui de Lamartine, qui d’ailleurs en dérive. Seulement Lamartine a joué de l’instrument avec une autre puissance, et il a eu d’autres choses à lui faire chanter.

Le genre de poésie où Voltaire s’est porté avec le plus de passion, et où il a le plus contenté son siècle, est la tragédie. Il aimait le théâtre à la folie, et ressemblait par là à son public. Il y avait, chez ces raffinés, une ingénuité presque enfantine dans la joie toujours neuve avec laquelle ils faisaient ou regardaient mouvoir les marionnettes animées qui avaient nom Gaussin, Dumesnil, Clairon ou Lekain, et l’on est étonné aujourd’hui du peu d’exigence de leurs imaginations, qui si facilement trouvaient leur plaisir. Les pièces de Voltaire n’existent plus guère