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VOLTAIRE.

son venin avec son charme. Les détails et les couplets exquis ne nous masquent pas la froideur de cette polissonnerie étirée en vingt et un chants. Mais on n’en jugea pas ainsi au xviiie siècle. Cette gaieté de parodie qui touchait à tout, cette intarissable verve qui faisait passer devant les yeux tant d’images bouffonnes ou libertines se revêtaient d’une forme qui avait, jugeait-on, l’impeccable précision et l’élégance académique des chefs-d’œuvre. Elle se classait, par comparaison avec le Philotanus ou le Balai, très haut. Les gens du monde, des femmes même et des princesses s’y récréaient sans scrupule.

Dans tous les petits genres à forme libre, — il n’a guère pratiqué les autres, et je ne connais de lui que deux sonnets, — dans les satires, les contes, les stances, les madrigaux, les épigrammes, et tout ce qu’on appelle poésies légères, la noblesse et la froideur de la régularité classique ont disparu ; mais l’homme de goût reste, qui, par un choix fin d’expressions, évite dans la canaillerie et même dans l’ordure l’air débraillé et l’air grossier. Inférieur à La Fontaine dans le conte où son dessin des personnages a moins de relief, excellent dans la satire, où, après d’Aubigné, Régnier et Boileau, il est vraiment inventeur, par la fantaisie maligne et drôle, également distante du moralisme alourdi et du réalisme exact, délicieux dans les stances et les épigrammes, Voltaire est un poète à la façon de Marot, de Voiture, du La Fontaine des poésies diverses, de Chaulieu et d’Hamilton : il a un charme bien personnel de facilité, de malice, de fantaisie et de