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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

ou d’imagination voluptueuse, par un certain tour de philosophie hardie et provocante.

À mesure que l’on descend l’échelle des genres, la personnalité s’accroît. Les poèmes philosophiques, sur l’Homme, sur la Loi naturelle, et sur le Désastre de Lisbonne, où nous le trouvons encore guindé et empêtré, tour à tour sèchement raisonneur ou agréable par placage, étaient pour Condorcet, qui jugeait par rapport au goût du temps, parmi les « plus beaux monuments de la poésie française » : il y trouvait une « variété de tons et une sorte d’abandon, une sensibilité touchante, un enthousiasme toujours noble, toujours vrai », qui leur donnaient un « charme dont Voltaire a seul connu le secret[1] ». Nous comprenons mieux le goût qu’on eut pour ses Epîtres, qui sont des façons de poésies didactiques plus libres, plus vives, mêlées de badinage et de satire, moins lourdes que celles de Boileau, et plus philosophiques que celles de La Fontaine.

Lorsqu’on descend aux genres badins, comiques et légers, alors vraiment on trouve un poète. Les contemporains s’amusaient plus de ces bagatelles en les estimant moins : pour nous, elles ont une plus haute valeur d’art.

La Pucelle a encore de la dignité et de l’artifice d’un grand genre : l’héroï-comique a ses lois. Voltaire y étrique l’Arioste comme dans la Henriade il a étriqué Virgile et le Tasse. Elle nous ennuie aujourd’hui, cette « infâme » Pucelle ; elle a perdu

  1. T. I, p. 216.