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VOLTAIRE.

il a de liberté. Voltaire disparaît dans ses odes : inférieur à Rousseau en rhétorique, égal en netteté froide à La Motte, il disserte avec accompagnement d’hyperboles, de métonymies, de prosopopées et d’allégories, sur le Fanatisme, ou sur l’Ingratitude, ou sur la Félicité des Temps. Il se croit poète lyrique pour avoir rimé des strophes « à Messieurs de l’Académie des sciences qui ont été sous l’équateur et au cercle polaire mesurer des degrés de latitude ». Malherbe est le modèle pur qui lui cache le lyrisme, comme à tous les Français pendant deux siècles.

La Henriade vaut mieux que les odes. Ce n’est plus pour nous qu’un pastel pâli, et à demi effacé ; mais on peut comprendre encore l’enthousiasme qu’elle inspira. Après le Clovis et la Pucelle, c’était un charme. Cette élocution brillante, cette versification aisée et qu’on trouvait énergique autant que correcte, ce maniement adroit des règles, ces allégories, ces tableaux d’histoire, ces scènes pathétiques d’un goût noble sans roideur, toute la pompe du genre, atténuée, humanisée continuellement par quelque chose de libre et de leste, en un mot la plus haute leçon du grand art classique interprétée dans un joli style Louis XV, théâtral encore, mais égayé : voilà assez de quoi nous expliquer le long succès de ce poème épique pendant un siècle.

Quoique les règles des grands genres bridassent Voltaire au point de le neutraliser souvent, il y mettait parfois sa marque, et surtout dans La Henriade, par de petits détails ingénieux de construction, par des échappées d’humeur spirituelle