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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

réchauffer un peu la politesse de notre poésie, et même Racine parfois lui paraît un peu pâle.

S’il nous semble lui-même timide, ceux qu’il ne contente pas, de son temps, lui reprochent l’excès de couleur et de hardiesse : il les effraye, il hasarde trop.

Il a retenu des maîtres du xviie siècle et de l’enseignement des jésuites, que la poésie a une beauté, une dignité supérieure à la prose. Il ne se doutera pas un instant que vingt lignes de Jeannot et Colin ou du Pot Pourri valent plus, dans l’échelle de l’art, que tout un chant de la Henriade. Il ne sera pas un instant tenté du paradoxe de La Motte, qui séduira des esprits comme Marivaux, Montesquieu et Buffon, parce qu’il était vrai pour eux et pour leur temps. Il ne voudra ni odes en prose, ni tragédies en prose, et se fera le plus vigoureux défenseur des vers. Plus que La Faye et La Chaussée, il contribuera à en maintenir la mode.

D’ailleurs il ne se fera pas une autre idée de la poésie que La Motte son adversaire. Elle est un langage conventionnel, une forme. Elle n’a pas un autre emploi, un autre contenu que la prose. Elle est une façon de dire ornée et agréable : elle met en œuvre des figures trop violentes pour la prose, et des cadences réglées dont la prose est affranchie. Chaque genre a sa gamme de style, et ses formes de versification. Les difficultés multiples qui résultent de ces conditions font une grande partie de la beauté des vers lorsqu’elles sont résolues élégamment.

Plus un genre est élevé dans la hiérarchie, moins