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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

y produit-il plus de reflets que de lumière propre.

Il juge les écrivains français avec la même vivacité timide : il ne fait grâce ni à Crébillon, ni à Jean-Baptiste Rousseau, ni à Marivaux, ni à Montesquieu, ni à Jean-Jacques, ni au comique larmoyant, ni au drame, ni à l’opéra-comique, et il dit cent fois à son siècle qu’il est la lie des siècles. Le grand Corneille souvent n’écrit pas en français et manque de goût. Il y a fort à dire sur La Fontaine. Ainsi son admiration se resserre pauvrement dans un court moment et dans un petit nombre d’œuvres du grand siècle. Quelques épîtres de Boileau, quelques tragédies de Racine, voilà en somme les « diamants » sans tache qui donnent aux connaisseurs des plaisirs sans mélange. Voilà les éternels chefs-d’œuvre où le génie a su atteindre à la correction : trésors d’art achevé et de belle langue.

Ce bon goût, chez Voltaire, comme chez les Français de son temps, a une sécurité qui ne va pas sans impertinence. Il prétend un empire universel. Il se croit la raison éternelle. Il juge de haut, et lestement, les anciens et les étrangers. Il a perfectionné les anciens ; il s’offre à civiliser les étrangers. Voltaire est infiniment curieux ; tout l’amuse, la Bible et Shakespeare, Saadi et les Chinois. Il constate les goûts différents des peuples : il n’est pas tenté d’en conclure à la relativité du goût. Mais rares sont les peuples et les époques où l’on a su ce que c’était que l’imitation de la belle nature. Quelques milliers de Français le savent. C’est la plus sûre gloire et la plus solide supériorité de notre nation. Voltaire n’est chauvin que de goût : mais il l’est énergique-